Pour clôturer sa douzième édition, Les Chants de Mars accueillaient ce samedi, dans un Transbordeur joyeusement bondé, celle que l’année 2018 a porté aux nues comme nouvelle icône de la jeune variété française. Un peu Sanson, un peu Berger, mais surtout beaucoup elle-même, Juliette Armanet a offert à son public un spectacle à son image, énergique, mélancolique, et pailleté.
Quelques mots tout d’abord sur Les Chants de Mars, festival lyonnais co-organisé depuis 10 ans par la MJC du Vieux Lyon, Le Marché Gare et la MPT des Rancy, et dont l’ambition est de faire se rencontrer publics de tout bords et acteurs des musiques actuelles. S’y sont succédés en dix ans des noms de la chanson française ayant depuis fait leurs preuves (Carmen Maria Vega, Gaël Faye, Cléa Vincent, Giedré, Miossec…), auxquels ont succédé cette année de jeunes voix comme Tim Dup, CHATON, Eddy de Pretto …
Et c’est le batteur de Juliette Armanet, le survolté Ricky Hollywood, qui s’est chargé de préparer le terrain à coup d’autotune drolatique et de conseils précieux : « Si tu fais l’amour ce soir, pense à ton père, pense à ta mère, qui se sont donnés du mal pour toi. » (Ricky et moi-même nous dédouanons totalement de ce qui pourrait advenir dans vos esprits à partir de maintenant.)
https://www.youtube.com/watch?v=ZRvZSEtmFkc
Un samedi soir dans l’Histoire
À 21h sonnantes, les lumières se sont éteintes, Ricky a regagné sa batterie et c’est une petite tornade pailletée qui a déboulé sur scène pour rejoindre son piano et entonner le délicat Manque D’Amour. Il y avait bien « comme un blues au paradis » ce soir, et c’est là toute la virtuosité de Juliette Armanet, faire cohabiter sur scène avec brio ses ballades mélancoliques (Sous la Pluie, L’Amour en Solitaire, L’Accident) pour entraîner quelques minutes plus tard son public dans une danse endiablée (Un Samedi Soir dans l’Histoire, Star Triste).
Loin de restée accoudée à son piano, la jeune femme n’aura de cesse de communiquer avec son public, drôle et spontanée, on la surprend à jeter, sur la foule du Transbordeur comble, un regard à la fois ému et intimidé par ce public qui reprend ses chansons au mot près. Timidité apparente qui s’effacera bien vite pour laisser place à des regards séducteurs pour le traditionnel Alexandre pêché dans le public qui n’échappera pas à sa sérénade.
On apprécie les réorchestrations live qui viennent sublimer certains titres (Sous la Pluie, Cavalier Seule) et les moments de piano solitaire dont le charme mélancolique bouleversent la pénombre partagée des spectateurs du Transbordeur (L’Accident). Et c’est à regret que le public laisse repartir Juliette Armanet, elle aussi peu pressée de quitter la scène, et qui offrira un ultime instant feel-good à son public avec la reprise délicieusement française du tube des Daft Punk, I Feel It Coming.
Territoire d’Indien
Et si sa musique nous touche tant c’est parce qu’elle parvient à conjuguer les sonorités sixties d’un passé doré et la mélancolie douce-amère des amours au présent. Dans une interview accordée à Eva Bester, dans sa très belle émission Remède à la Mélancolie, Juliette Armanet disait ne pas avoir peur de cette émotion qui tout à la fois nous apaise et nous étreint le cœur. Ce territoire d’Indien c’est celui de l’amour trouvé et perdu au fil de ses chansons et dont les notes agiles du piano nous murmurent l’histoire.
Dans ses clips aux couleurs vives on la retrouve coiffant des poneys sur une île, alanguie dans un kimono juchée sur son fidèle piano. D’accidents en jaguar, en ballade pour Star mélancolique, celle qui dit faire cavalier seule ne l’était plus ce samedi soir là. Aucun remède à la mélancolie ne nous sera prescrit, bien au contraire, puisque dans l’imagerie de Juliette Armanet, c’est une promenade sous la pluie qui laisse couler la détresse des amours inassouvies. Et si un Indien venait à passer par là, elle le laisserait emporter son cœur, et nous avec.
Laurine Labourier