Arlyo a poussé la porte du 86 rue de Marseille et a fait la rencontre de Paco Vallat, libraire à Terre des livres, une « petit librairie » située dans le quartier de la Guillotière et proche des universités. Au travers de quelques questions, Paco dresse le portrait d’une endroit unique, riche en découvertes et où l’ailleurs est à portée de main…
Un cadre chaleureux et convivial, et des centaines de livres pour s’évader. Les destinations sont nombreuses ; continent africain, Proche et Moyen-Orient, Asie mineure et d’autres encore. Toutes les littératures sont conviées, sans exception aucune. À l’étage, des livres d’occasion pour les petits budgets ou pour les curieux à la recherche d’une perle de papier.
Cet endroit est le cadre de travail de Paco Vallat, un des trois libraires de Terre des livres. Polyvalent, leur travail consiste autant à conseiller les clients que de s’occuper des commandes, de la manutention des livres (réception, rangement, mise en avant des coups de cœur littéraires…) ou encore à gérer les relations avec les éditeurs et différents acteurs de la chaîne du livre. S’occuper des livres d’occasion et de la communication sont aussi des tâches quotidiennes.
Paco Vallat est dans le milieu de la librairie depuis trois ans. Il a découvert ce métier par le biais de Terre des livres où il a justement effectué un stage de deux mois en parallèle de ses études de lettres. Séduit par ce métier, il débute un apprentissage de deux ans dans une autre librairie lyonnaise. Puis, à la fin de son apprentissage, revient vers Terre des livres.
Vous vous présentez comme une « petite librairie ». Qu’entendez-vous par là ?
Terre des livres est effectivement une petite librairie dans le sens où elle entend rester à taille humaine. Nous sommes indépendants, et contrairement aux grands groupes comme la Fnac, nos objectifs ne sont pas que financiers. Bien sûr, nous avons aussi cet impératif de payer les factures et nos salaires en fin de mois, mais la raison d’être de notre librairie (et, je le crois, de nombreuses librairies indépendantes) est ailleurs. Elle est dans la rencontre, dans le conseil, et dans le formidable lieu culturel et militant qu’est une librairie. Il figure sur notre site un texte écrit sur le vif, « pourquoi des petites librairies ? », qui me plaît beaucoup.
Pourquoi venir acheter son livre en librairie quand on peut l’acheter si simplement sur internet ?
La question, selon moi, est plus vaste : pourquoi sortir, quand on peut faire ce que l’on veut sur internet ? Aujourd’hui, en exagérant à peine, venir dans un commerce de proximité est déjà un acte militant. À l’heure où « le dématérialisé » tend à devenir une norme, où le moindre déplacement se calcule au plus juste sur Mappy, où le numérique oriente nos vies constamment, flâner dans une librairie, prendre le temps d’un verre sur les quais ou sur une terrasse, discuter avec un commerçant, tout cela pour moi n’a pas de prix. Il s’agit de se réapproprier un espace public, de reconquérir aussi le temps qui nous fait si souvent défaut en ces jours. Internet est un espace incroyable, plein de ressources et de nouvelles perspectives. Mais il n’est, pour moi, pas comparable avec les services qu’offre une librairie. Le conseil, bien sûr, qualité première d’une librairie. Le fonds, riche souvent, avec des pépites, toujours. L’accueil, le relationnel, la personnalité. La librairie a cette particularité qu’elle est protégée par une loi, la loi Lang, datant de 1981, qui oblige les éditeurs à donner un prix fixe à leurs livres. Un livre ne sera jamais moins cher, s’il est neuf, sur internet.
« Internet, pour les livres, n’est donc d’aucune utilité. La librairie sera toujours plus forte. »
Être libraire aujourd’hui : un défi ?
Difficile à dire. Effectivement, c’est un métier qui va évoluer avec le temps et les nouvelles habitudes de consommation. Beaucoup le pensent condamné, moi non. De plus en plus, les gens cherchent des lieux de proximité, à nouer des liens amicaux dans leurs lieux de vie, et de plus en plus me semble-t-il, se développe la vie de quartier. On voit fleurir des épiceries solidaires, des bars originaux, des boutiques de jeux de société, des cafés-librairie et bien d’autres commerces conviviaux. Le livre reste toujours le cadeau numéro 1, de plus en plus de gens lisent pour leur plaisir, de plus en plus d’éditeurs s’amusent à casser les codes élitistes pour toucher d’autres publics. La chaîne du livre change, mais pour moi, les librairies seront toujours présentes, et en ce sens être libraire n’est pas un plus grand défi que d’être barman ou cuisinier.
Terre des livres propose un large rayon sur la littérature africaine, arabe… Pourquoi avoir choisi de mettre en avant cette littérature ? Pensez-vous qu’elle est marginalisée ?
Terre des livres est une librairie généraliste, mais elle possède effectivement un fonds spécialisé sur la littérature africaine et le monde arabe. Cela vient tout d’abord de l’histoire de la librairie. Avant la reprise par le gérant actuel, cette librairie était une librairie ne faisant que des livres arabes, en langue originale ou traduits. L’identité était donc déjà présente. Ce fonds était, de plus, logique quant à la localisation de la librairie, Guillotière, quartier populaire, cosmopolite, important dans l’histoire de l’immigration Lyonnaise. Au moment de la reprise, développer de nouveaux fonds tout en gardant cette spécificité qui faisait l’identité de la librairie fut une évidence. Selon moi, la littérature africaine n’est pas marginalisée, elle est tout simplement peu connue. Reliquat de l’histoire coloniale ou simple manque d’intérêt, il est étonnant de voir qu’une littérature aussi vaste, diversifiée et riche peine à trouver des lecteurs. Mais les initiatives visant à la mettre en avant ne manquent pas (Mabanckou et Atiq Rahimi à la fête du livre de Bron, In Koli Jean Bofane, Oya Baydar, Max Lobe… aux Assises Internationales du Roman, et de nombreux autres événements sur la région lyonnaise).
Vous organisez des rencontres et des débats, pouvez-vous m’en dire davantage ? Comment choisissez-vous telle ou telle rencontre ?
Nous accueillons en moyenne deux rencontres par semaine. Une le soir en semaine, et une le samedi après-midi. La plupart du temps, nos rencontres portent sur des thématiques liées à l’Afrique ou au monde arabe, ou au militantisme (féminisme, LGBT, ZAD, immigration, racisme, écologie, économie…). De nombreuses propositions nous sont faites par des associations, lieux culturels (Maison des passages, Comoedia), ou dans le cadre d’événements culturels (Caravane des cinémas d’Afrique, Migrant’scènes…). Parmi celles-là, nous choisissons celles qui sont le plus en adéquation avec notre librairie.
Avez-vous des partenariats ?
En tant que librairie, nous avons effectivement des partenariats de différentes sortes avec différents acteurs. Nous travaillons notamment avec des écoles, des collèges et des lycées qui nous passent commande et que nous livrons. Nous avons aussi des partenariats avec des institutions culturelles comme la fête du livre de Bron ou le cinéma Comoedia, où nous nous engageons à tenir une table de presse lors des rencontres organisées par leurs soins. Nous avons aussi des liens, même si le mot partenariat sonne trop officiel pour cela, avec d’autres librairies du quartier. Nous mutualisons certains déplacements, ce qui nous permet d’être plus réactif sur le temps de commande. Il existe depuis peu un site extrêmement pratique sur Lyon et la région Rhône Alpes, nommé « Chez mon libraire ». Ce site recense le stock des librairies adhérentes, et permet à chacun de voir où se trouve le livre que l’on cherche, de le réserver ou de le commander en ligne, et d’aller ensuite le récupérer dans la librairie de son choix. Ce site, construit par l’association Libraires en Rhône Alpes, est une réponse efficace à Amazon et contribue à la vie des librairies indépendantes. C’est pour moi, aussi, une forme de partenariat, ou du moins, d’entraide entre librairies.
Un coup de cœur à partager avec nos lecteurs ?
Un de mes derniers coups de cœur vient d’un livre datant de 2014, que j’ai relu récemment pour animer une rencontre avec l’auteur. Il s’agit de Congo Inc., de In Koli Jean Bofane, aux éditions Actes Sud. Ce livre est un roman truculent et déjanté dans le Congo Kinshasa. Nous suivons l’histoire d’un jeune pygmée parti de sa forêt natale pour se « mondialiser », découvrir le capitalisme et devenir immensément riche. Entre description au vitriol de la société congolaise mais aussi de l’ONU, des aides internationales censées aider le Congo, roman d’initiation rocambolesque, et langue d’une poétique et d’un humour sans précédents, ce livre est une vraie merveille.
Et une anecdote de libraire ?
Avec des clients, malheureusement, je n’ai que peu à raconter. Par contre, en librairie, nous sommes amenés à rencontrer régulièrement des auteurs, et certains sont relativement uniques en leur genre. Les dessinateurs de BD, ou les illustrateurs jeunesse prennent beaucoup de temps dans leurs dédicaces, ce qui fait rapidement des files d’attente immenses. La mode pour les écrivains de Fantasy en ce moment est de se faire fabriquer des petits tampons pour personnaliser les dédicaces. J’ai déjà vu des crocodiles, des dinosaures, un corbeau… Sinon, pour une anecdote personnelle, un écrivain m’a un jour promis de m’envoyer un fichier MP3 contenant l’intégralité du Kalevala (épopée traditionnelle finnoise, longue de 23 000 vers), chanté par lui et accompagné à la harpe. Malheureusement, je n’ai toujours rien reçu… mais j’ai de quoi le faire chanter !
Y a-t-il un livre que vous n’accepteriez pas de vendre ?
Aucunement. Légalement, je n’ai pas le droit de refuser de vendre un livre tout comme je n’ai pas le droit de ne pas en recommander un. Refuser de vendre un livre, c’est selon moi une forme de censure assez dommageable. Il importe à chacun de construire son propre cheminement de lecture. Spontanément, je pense à deux cas. Le premier, ce serait de vendre un livre dont le contenu et les idées me déplaisent. Le deuxième, ce serait de vendre un livre dont le contenu littéraire ou narratif m’ennuie. Dans les deux cas, qui suis-je pour juger des lectures d’autrui ?
J’aime aussi ce défi quotidien, qui est de considérer les lectures d’un client dans son ensemble et de lui proposer des livres pour l’emmener plus loin encore, vers des lectures plus rudes, ou des pensées plus complexes. Je ne refuse de vendre aucun livre, car je pense que tous les livres sont indispensables, et qu’à chaque livre correspond un lecteur. À nous, libraires, de faire se rencontrer les deux.
Y a-t-il un ou des livres que l’on vous demande sans arrêt et dont vous en avez assez ?
En librairie, comme partout, il y a la mode. Et la mode, c’est rarement chouette. D’un coup, suite à un événement culturel (souvent lié au cinéma ou à la télé), on se rue sur un titre pendant un temps parfois assez long. Et au bout d’un moment, même si le libraire est content de voir de nouvelles têtes dans sa librairie, il commence à avoir ce fameux livre qui lui sort par les yeux. Mais au final, si la mode fait lire, fait acheter des livres dans les librairies, fait découvrir des commerces de qualité à des nouveaux clients, le libraire peut-il encore oser se plaindre ?
Une chose marrante à voir, c’est que ces titres à la mode sont loin d’être tous mauvais. Effectivement, Cinquante nuances de Grey ou Twilight restent dans les mémoires, mais des livres comme Harry Potter ou Game Of Thrones, ou encore des classiques de la littérature comme Le traité sur la tolérance de Voltaire (au moment de Charlie Hebdo) ou Paris est une fête de Hemingway (au moment du Bataclan) sont aussi régis par ce même phénomène de mode. Je me réjouis du succès de la série Game Of Throne, car le livre, qui fut un vrai succès de librairie, est loin d’être évident à lire, et a permis à de nombreuses personnes de reprendre goût à la lecture. Joie.
Lecteur, si cette interview t’a donné envie de découvrir Terre des livres, la librairie est ouverte le lundi de 13h à 19h, du mardi au vendredi de 10h à 19h (sans interruption) et le samedi de 10h à 13h puis de 14h à 19h.
Arlyo remercie Terre des livres et Paco Vallat pour cet échange et ce beau message d’espoir sur les petites librairies.